[Tribune] Déshérence des contrats de retraite supplémentaire : une occasion manquée pour le pouvoir d’achat des Français ?

La déshérence des contrats de retraites supplémentaires représente plus de 13 milliards d’euros. La proposition de loi de Daniel Labaronne adoptée le 17 février dernier entendait répondre à ce défi. Néanmoins, comme l’ont souligné plusieurs parlementaires, le recours expérimental à des professionnels de la recherche reconnus aurait certainement permis d’aboutir à de meilleurs résultats. Une occasion manquée de redonner du pouvoir d’achat des Français, selon Cédric Dolain, Président de Généalogistes de France.


La déshérence, un enjeu depuis plusieurs années

La question de la déshérence se pose depuis plusieurs années, au vu de l’importance des chiffres en jeu : 1 700 000 contrats d’assurance-vie en déshérence ; 2,7 milliards d’euros au minimum d’encours des contrats d’assurance-vie non réglés ; 1,2 milliard d’euros au minimum d’encours des avoirs bancaires en déshérence.

 Une première réforme en 2014, qui montre rapidement des limites

La loi Eckert (2014) avait été l’occasion de quelques avancées, mais très incomplètes : près de 5 milliards d’euros avaient été transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations au motif de “vaines recherches”. Les assureurs indiquaient n’avoir pas pu trouver de bénéficiaires et remettaient donc à la CDC les montants en jeu. Si ces montants ne sont jamais réclamés, ils reviennent in fine à l’Etat.

Des montants de restitution trop faibles

Selon la Cour des Comptes, en 2018, seuls 3% de ces 5 milliards (143,2 M€) avaient été réclamés et donc restitués en 2018. Le recours à la plateforme dédiée Ciclade s’était d’ailleurs essoufflé un an après son lancement (seulement 352 000 visites en 2018). Près de 4,5 milliards d’euros ne reviennent donc pas à leurs bénéficiaires légitimes…

Une solution existait via l’expertise des professionnels de la recherche

L’expertise des professionnels, comme les généalogistes (qui identifient chaque année 150 000 héritiers, à qui ils restituent 350 millions d’euros, dans le cadre de dossiers de succession) n’a pourtant été que peu sollicitée par les compagnies d’assurance. Sur l’année 2015, au moment où la pression sur les assureurs était la plus forte, les généalogistes n’étaient missionnés par ces derniers que pour 15 000 dossiers. Il est certain qu’un grand nombre de dossiers transmis à la CDC aurait mérité une deuxième expertise de la part des experts de la recherche, qui assurent la sécurité juridique de leur travail, et ce afin d’éviter une spoliation involontaire au bénéfice de l’Etat…

Les retraites supplémentaires en déshérence, nouvel enjeu essentiel

Un autre produit d’épargne est encore davantage concerné par la déshérence : les contrats de retraites supplémentaires. Ces contrats étant généralement sans terme, ils ne sont pas adressés par la loi Eckert. Malgré les mesures de la loi Pacte, la problématique des contrats en déshérence actuellement en stock reste intacte. Dans son rapport annuel de 2019, la Cour des Comptes estime la déshérence des contrats de retraites supplémentaires à 13,3 milliards d’euros. La proposition de loi de Daniel Labaronne, adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée, ne suffira sans doute pas à résoudre ce problème.

Le pouvoir d’achat des Français sacrifié volontairement ?

Parmi les propositions des généalogistes professionnels, une expérimentation de deux ans qui consistait à rechercher activement les bénéficiaires d’une partie de contrats d’assurance-vie déjà transférés à la CDC au motif de “vaines recherches”. Cette deuxième recherche aurait permis de s’assurer qu’il n’y avait pas eu de transfert hâtif à la CDC, et d’identifier éventuellement des bénéficiaires ignorant leurs droits. Faute de soutien de la majorité et du Gouvernement, cette expérimentation n’a pas été retenue et n’a pas été votée au Parlement. A l’heure où le pouvoir d’achat est une préoccupation primordiale des Français, une solution simple existe pourtant, pour restituer des sommes importantes aux ayants droit.

« Le Gouvernement avait l’occasion de rattraper ce qui a mal fait avec la loi Eckert, et d’anticiper sur l’énorme chantier de la déshérence des contrats de retraite supplémentaire… Nous étions prêts à mettre notre expertise au service de l’intérêt général, et n’avons pas été entendu ; dommage ! »

- Cédric Dolain

Président de Généalogistes de France

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